Apprendre à virer
lundi
15 mars 2004 Jusqu'ici on parlait de «conduite du changement», de «management de la situation de crise» ou de downsizing. Autant d'expressions «euphémisées» pour parler des restructurations dans les entreprises et des licenciements qu'elles engendrent. A l'heure où les partenaires sociaux négocient sur le sujet, sans réussir à s'entendre, les managers se posent des questions sur leurs propres pratiques. Jusqu'ici, licencier ne s'apprenait guère dans les écoles, mis à part quelques règles de droit social ou des cours pour remotiver les «survivants» à un plan social. A l'école de commerce Sup de co Reims (1), l'enseignement des restructurations a fait son entrée depuis l'an dernier. Avec un credo : les restructurations ne sont plus des événements conjoncturels, des crises. Mais des phénomènes continus, auxquels il faut répondre le plus en amont possible pour limiter les difficultés, notamment toutes celles liées à la perte d'emploi. Rachel Beaujolin-Bellet, chercheuse et professeure à Reims, a mis au point un module appelé Flexibilités et restructurations, proposé aux étudiants en troisième année de l'école de commerce. «Tous les managers seront confrontés un jour à ces situations, autant bien les y préparer», dit la professeure. Le module ne se contente pas d'expliquer comment gérer les sureffectifs. Il a pour ambition de donner les outils aux managers pour accompagner les réorganisations permanentes des entreprises et savoir déceler les signes précurseurs d'une restructuration qui se traduirait par des pertes d'emploi. Rachel Beaujolin, qui travaille sur le sujet depuis dix ans, est partie du constat suivant. En France, les restructurations sont, souvent, conflictuelles. Les entreprises, par manque d'anticipation, retardent le moment de leur réorganisation. Quand celle-ci est annoncée, elle place en situation d'opposition syndicats et salariés. «Si les managers que l'on forme peuvent gérer les restructurations sans être en situation d'urgence, ça leur permettrait de bénéficier de marges de manoeuvre afin de trouver de meilleures solutions pour les salariés», explique-t-elle. Pendant les 45 heures de cours, les élèves sont confrontés à des cas pratiques d'entreprises qui ont vécu des plans sociaux, visitent des usines, rencontrent les cabinets de conseil spécialisés dans la gestion des restructurations. Un moyen de se créer une boîte à outils afin d'affronter le moment où ils devront supprimer des postes. La formation doit permettre aussi aux futurs managers d'envisager leur métier autrement que d'un point de vue financier. Reste à savoir si on peut vraiment restructurer humainement et si 45 heures y suffisent. Nestlé Water, OCT, Alstom :petites ou grandes restructurations déclenchent foudres des syndicats et indignation des salariés. «Une question culturelle», selon Yves Cahen, directeur général du cabinet de conseil en transition de carrière, Right Garon Bonvalot. «Aux Etats-Unis, les gens ont l'habitude de changer de métier. Ils ont tous au moins 3 ou 4 transitions de carrière derrière eux. Il est naturel de se faire aider pour cela d'un cabinet de conseil. En France, l'accompagnement systématique est nouveau.» L'anticipation des restructurations, habituelle en Allemagne ou, dans une certaine mesure, aux Etats-Unis, est très rare en France, même si les choses évoluent. Les licenciements sont bien souvent un moyen de répondre à une situation de crise économique urgente. Le DRH, dans ce cas, est bien souvent préposé à la rédaction de listes de gens sur le départ, sale boulot qu'il assume plus ou moins bien (lire ci-contre). Mal
en point financièrement ou cherchant à faire baisser leurs
coûts à tout prix, des entreprises restructurent plutôt
«à l'économie», inventant des manières
de licencier pour se débarrasser le plus économiquement
possible de leurs salariés. Les plus pingres détournent
le code du travail (lire p. III). Car licencier «proprement»
coûte cher. Les meilleurs plans sociaux nécessitent des moyens
financiers afin de reformer les salariés, les reclasser, voire
payer des préretraites. Certaines entreprises commencent à
avancer dans cette voie, notamment par le biais d'accords de méthode.
Des groupes comme Schneider Electric ou DHL France en ont signé.
Ils doivent donner un nouveau cadre à la négociation collective,
permettre de prévenir plus tôt les partenaires sociaux en
cas de restructurations à venir. En contrepartie, les obligations
légales des employeurs peuvent être allégées.
La tâche des DRH est facilitée : ils agissent dans un cadre
déjà négocié avec les partenaires sociaux.
Mais les spécialistes doutent de l'efficacité de tels accords.
Cela suppose que «les syndicalistes sortent de leur logique d'opposition
et les directions de leur logique d'imposition», estimait Alain
Schweitzer du cabinet Alpha, lors d'un colloque de l'Ires (Institut de
recherches économiques et sociales). De nombreux DRH souhaitent
ces évolutions. Qui peuvent sortir leur métier de l'image
désastreuse de sicaire qui leur colle à la peau. |
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«Partir plutôt que d'être un salaud»
lundi 15 mars 2004
«J'ai vu que je tombais dans un piège. Je devais faire le sale boulot en douce.»Pierre 'un a démissionné avant d'exécuter un deuxième plan social, l'autre avant d'entamer le sale travail. Michel, ancien DRH d'un groupe industriel, 54 ans, et Pierre, également DRH, 47 ans, racontent. Michel, «l'impossible honnêteté» «J'ai été formé sur le tas. J'ai rejoint ce grand groupe industriel après différents postes de chef du personnel dans de grosses PME. Pour moi, c'était une chance de rejoindre une société de plus de 3 000 salariés. Tout était éclaté en différentes unités partout en France, la plus grosse entreprise comptait environ 400 personnes. Je suis arrivé avec pour mission de mettre en place une politique de gestion du personnel cohérente. C'était d'autant plus nécessaire que les statuts étaient différents d'un site à l'autre, que les pyramides des âges étaient catastrophiques dans certaines usines, avec des salariés entre 42 et 50 ans. Et aucun jeune. J'ai commencé par faire la tournée des usines, voir les syndicats, les directeurs de site. On avait de vrais projets de formation, de départs en préretraite pour ceux qui en avaient marre. J'aimais bien mon travail. On avait aussi envie de motiver des jeunes femmes pour les mettre à la tête d'équipes. Un jour, en réunion au siège, j'ai présenté mon «plan stratégique», en insistant sur le fait que ça devait faire gagner de l'argent au groupe en améliorant la productivité du travail. En face de moi, le conseil d'administration m'a opposé un silence gêné. Et mon patron m'a dit : "Monsieur, on fait des pertes. Il faut faire des économies sur la masse salariale." En vrai français : vous devez virer des gens. C'est un des aspects du métier, et moi je voulais faire ça bien. Avec mes adjoints, on a rebâti un nouveau plan. En sondant les volontaires pour partir, en proposant des préretraites. Encore une fois, mon projet a été retoqué. Et on m'a expliqué comment il fallait licencier. C'est simple, m'a dit le directeur financier, vous divisez la somme des pertes par le salaire moyen et vous obtenez le nombre de postes à supprimer pour qu'on arrive à l'équilibre. J'ai accepté de jouer le jeu en façade, et derrière, on a fait tout notre possible avec mes adjoints pour qu'il y ait le moins de casse possible. Mais beaucoup de salariés motivés sont partis, et le plan n'a pas permis d'améliorer les résultats financiers. Dix-huit mois après, on me demandait de recommencer à licencier J'ai fait un infarctus, un signe qui m'a incité à quitter l'entreprise avant d'avoir à couper des têtes. Aujourd'hui, j'ai mon entreprise de conseil. Quand je croise de jeunes DRH, je leur dis de se blinder moralement. Parce que les entreprises qui font correctement, enfin le moins mal possible humainement, des restructurations sont très rares.» Pierre, «l'horreur aussi la nuit» «L'an passé, je travaillais dans une entreprise qui faisait notamment de la formation et du conseil aux entreprises. Et je dois dire que je me suis sauvé avant de mettre en place un grand plan social qui a porté sur presque la moitié des salariés, soit 80 personnes. J'étais le DRH, et trois mois avant l'annonce officielle du plan et le début de la procédure de consultation des représentants du personnel, mon directeur et ses conseillers m'ont convoqué. Ils m'ont expliqué que nous traversions des difficultés financières qui nécessitaient un plan social. Mais, m'avaient-ils juré, léger. Je devais déjà penser à une liste de noms. Et par ailleurs, si je savais tenir ma langue jusqu'à l'annonce officielle, on me promettait une prime pour quitter l'entreprise ajoutée à un crédit formation et la promesse que je pourrais chercher un nouveau travail depuis chez moi, tout en étant toujours payé. Cela supposait donc que je mène les entretiens d'évaluation annuels des salariés comme si de rien n'était. «Je dois dire que j'ai hésité une seconde. Mais, au fur et à mesure, j'ai vu que je tombais dans un piège. Je devais faire le sale boulot en douce, et mon départ et les conditions financières favorables qui allaient avec risquaient de me faire passer pour un sale type auprès de mes collègues. J'avais du mal à ne pas craquer quand je recevais des salariés en entretien annuel et que je leur demandais de me parler de leur avenir. Comment rester de marbre quand des gens m'annonçaient qu'ils demandaient une augmentation pour être plus à l'aise pour rembourser leur maison ? J'en rêvais la nuit, je faisais des listes. C'était horrible, et puis les rumeurs du plan social ont commencé à enfler. Un jour, une délégation syndicale est venue me voir, en me disant qu'ils me faisaient confiance et que je leur devais la vérité. Ce jour-là, j'ai vu que je devenais un vrai salaud. Je n'ai rien dit, mais je suis allé prévenir ma direction que je ne marchais plus dans la combine et j'ai démissionné, à la régulière. Sans aucun avantage. Avant de partir, j'ai balancé tout ce que je savais sur le plan à certains syndicalistes et à la presse locale.»
Palmarès
des méthodes de licenciement les plus controversées. lundi 15 mars 2004
Aujourd'hui en France, moins de 39 % des salariés licenciés bénéficient d'un plan de sauvegarde de l'emploi, le nouveau nom du plan social. Les autres se retrouvent au chômage sans aucune garantie de reclassement, soit parce qu'ils travaillent dans des entreprises trop petites ou sans moyens financiers, soit qu'ils ont pour patrons des employeurs peu scrupuleux. Ces «patrons voyous» contournent le droit du travail afin de licencier à moindres frais. Revue de détail des six façons les plus mesquines de se débarrasser de ses salariés. La
méthode dite du «paquet de 9» La
mutation La
pseudo-faute professionnelle Le
harcèlement La
liquidation judiciaire Le
déménagement sauvage |